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Henri Maître

Minorités du Guizhou, du Yunnan, du Guangxi ...  et d'ailleurs

Sommaire

 

Quelques définitions

'On recouvre du terme de "Minorités" les 110 millions de chinois qui ne relèvent pas de l'éthnie dominante Han.' Cette phrase, que nous avons employée en introduction, mérite que l'on rappelle quelques termes de vocabulaire :

  • Une "ethnie" ou "groupe ethnique" est un groupe social de personnes qui s'identifient entre elles sur la base d'une ascendance commune (réelle ou imaginée) (Wikipedia). Ce sentiment s'appuie sur la langue, l'histoire, les coutumes, la religion ... (sur l'évolution du sens d'ethnie depuis 50 ans, nous renvoyons le lecteur aux textes de F. Barth ou à leur résumé par P. Costey
  • La Chine reconnaît dans ses populations 56 "nationalités" et parmi elles 55 sont minoritaires (shaoshu mínzú ou en bref mínzú). Ce sont des regroupements d'ethnies, officiellement volontairement associées, identifiées pour participer, dans les territoires où elles sont majoritaires, à leur gouvernance. Potentiellement, selon le législateur, cela permet à une ethnie de bénéficier de mesures de discrimination positive, même là où elle n'est pas majoritaire. Tout Chinois appartient à une nationalité. La mention de sa nationalité figure sur la seconde ligne de sa carte d'identité.
  • Toutes ces populations possèdent, au sens politique, la citoyenneté chinoise. La citoyenneté, en droit français ainsi que dans la plupart des pays, est confondue avec la nationalité. Le terme "nationalité", issu du langage de l'ex-bloc soviétique, apparaît aujourd'hui assez impropre.
  • Pour celà, la traduction la plus adaptée de shaoshu mínzú et le terme qui lui est consacré en français, est "minorité". Logiquement ce terme exclut les Hans des minorités puisqu'ils sont majoritaires (92 % de la population) tout en constituant la 56e nationalité.
  • Le terme générique que l'on trouve systématiquement associé à une minorité ( Yí Zú, Nàxi Zú, ...) indique indistinctement le peuple, le clan ou la famille.

 

Aux temps anciens

Pour de nombreux historiens (voir par exemple Ge Zhaoguang), la notion de nation chinoise construite autour d'un même peuple remonte au passage de la dynastie Zhou à la dynastie Qin en 221 avant notre ère, mettant fin aux Royaumes Combattants. Centré sur la population dominante Han, le concept de "tianxia" ("Tous sous un même toit") s'impose où le peuple Han fédère et absorbe les peuples dans ses frontières, tandis qu'il rejette hors de ces frontières les quatre "barbares" qu'il ne peut assimiler, qui viennent des quatre points cardinaux, qui s'appeleront tout d'abord Yi à l'Ouest, Rong à l'Est, Di au Nord et Man au Sud (voir Magnus Faskesjö), puis Mongols, Mandchous, Tibétains et Peuples musulmans des marches ouest (Ouighours et Kirghizes dirions-nous aujourd'hui). Cette distinction se maintiendra même après les annexions mandchoues de la dynastie Qing et expliquent les cinq couleurs du premier drapeau républicain. "Barbares" à l'extérieur, mais quid des peuples non-hans sous le ciel commun ? Disons le clairement, ces minorités n'ont jamais reçu la moindre considération de la majorité Han. Invisibles dans l'extraordinairement prolifique litérature des lettrés, repoussés dans les fonds de vallées des zones montagneuses, considérées comme Barbares par l'intelligentsia et comme des compétiteurs par les paysans, les commerçants et les nobliaux, les minorités au cœur de l'Empire du Milieu participent du "tianxia" par leur production et dans la mesure où elles adoptent des règles à l'élaboration desquelles elles ne contribuent pas. Ainsi, à la chute de l'Empire, les minorités, mal connues et mal-aimées, sont sous le toît commun comme le résidu d'un monde antique que 20 siècles n'ont pas éradiqué (on trouvera dans le texte de Ge Zhaoguang) un point de vue acéré sur cette situation.

La construction de la notion de minorité

La situation a beaucoup évolué à la chute des Qing. Les minorités se sont retrouvées au centre des conflits qui ont agité la jeune République de Chine souvent sur leurs territoires mêmes. Embrigadées par les Seigneurs de la Guerre loin de Pékin ou tentées de retrouver une indépendance longtemps espérée, converties alternativement aux thèses républicaines ou communistes, elles ont été courtisées par les deux camps qui leur ont promis des lendemains enchantés en échange de refuge ou de droit de passage sur leurs terres. Après leur victoire, les Communistes, appliquant leur programme d'assistance aux plus démunis et engagés auprès de certaines minorités par des accords passés durant la Longue Marche, ont décliné un programme spécifique à l'attention de ces minorités.

En 1949, lors de la construction de la République Populaire de Chine, on comptait plus de 1000 groupes ethniques différents. La constitution leur reconnait à tous la même citoyenneté par le droit du sol. Le politique a souhaité les distinguer par le droit du sang, de façon qu'ils participent officiellement à l'administration des territoires là où ils sont majoritaires, suivant en cela l'exemple ancien des tusis qui avaient permis, dans les siècles passés, d'attacher progressivement à l'empire les ethnies des marches.
A la suite d'une gigantesque enquête de géographes, d'historiens, de linguistes et de sociologues, ces ethnies ont été regroupées officiellement en 55 minorités en 1949, à partir de critères essentiellement ethno-linguistiques. Les regroupements ont bien sûr mis dans une même case des sociétés qui se sentaient profondément distinctes et dont il n'est pas clair qu'elles aient été profondément consentantes comme le proclamment les textes. Nous aurons donc l'occasion de nous écarter de cette classification de 1949 pour distinguer des groupes qui nous semblent particulièrement saillants.
Les 3 subdivisions administratives d'une province : préfectures (meng), districts (xian) et cantons (sumu), peuvent ainsi être "autonomes" si elles abritent une shaoshu mínzú qui y est majoritaire. Les édiles sont alors issus de la minorité dominante, même si, en pratique, leurs pouvoirs sont fortement encadrés.
A ces droits collectifs peuvent s'ajouter des avantages individuels : accès facilité à l'enseignement et aux soins par exemple. Des exemples particulièrement éclairants de ces droits sont exposés par exemple dans B. Vermonde. Nous ne nous attarderons pas sur les aspects négatifs associés comme, par le passé, les mesures ciblées affectant la pratique des religions ou, plus récemment, les limitations des déplacements à l'étranger. La presse s'en fait encore régulièrement l'écho concernant les Tibétains et les Ouighours en particulier.

 

La géographie et le climat

Sans surprise, c'est à la périphérie de l'empire chinois que l'on retrouve aujourd'hui ces minorités, progressivement repoussées comme "barbares" dans les terres les moins hospitalières. Beaucoup se sont également établies dans les pays frontaliers : VietNam, Laos, Birmanie, Thaïlande, Tibet, Russie, ...
Nous ne serons intéressés ici que par les minorités du Sud-Ouest, c'est-à-dire, tout d'abord, celles occupant les trois provinces du Guizhou, du Guangxi et du Yunnan, provinces où elles sont particulièrement concentrées. On y compte en effet 36 des 55 minorités sur un territoire à peu près vaste comme la France. Nous déborderons souvent sur le Sichuan, le Hunan et le Hubei qui les bordent au Nord mais sont plus majoritairement Hans. Nous serons amenés à traverser les frontières pour suivre les ethnies au Nord du Viet-Nam et du Laos, en Birmanie, voire en Thaïlande et plus à l'Ouest au Tibet.
Si l'on s'étonne que des cultures aient traversé des siècles d'une histoire particulièrement chargée pour nous parvenir aujourd'hui dans un si exceptionnel état de fraicheur, il faut se rapporter à la géographie de ces pays, pays de montagnes karstiques, aux pentes abruptes, aux vallées profondes et hermétiques. Repoussées hors des plaines d'échange, les minorités ont trouvé dans ces lieux l'isolement et l'oubli qui leur ont permis de cultiver et d'affermir leur identité.
Ces territoires sont cependant traversés par la variante Sud de la route de la soie et les grands axes "Cochinchine-Tibet" d'une part et "Thaïlande-Chine Centrale" d'autre part, s'y croisent. C'est aussi dans ces paysages que coulent 4 grands fleuves : le Yangtsé, le Mékong, le Fleuve Rouge et la Salouen. De leurs refuges montagneux, les minorités ont tout loisir de contempler l'avènement progressif des grands courants commerciaux. Certaines ne se priveront pas d'y participer.
Un mot enfin des climats qui sont d'une étonnante variété, d'une part en raison de l'étalement en latitude, d'autre part en raison de l'altitude. Les montagnes et les plateaux du Nord Yunnan et du Sichuan, souvent à plus de 4 000 m, subissent des hivers très rudes et leurs étés ne sont jamais très chauds. Au contraire le Sud, en particulier le Xishuangbanna, a un régime franchement subtropical, exposé toute l'année à de fortes températures et l'été à des pluies constantes, propices à une végétation luxuriante. Les plaines plus centrales, proches du Hubei et du Yunnan ont un régime continental à deux saisons très marquées tandis que les plateaux autour de Kunming ou les collines du Guizhou bénéficient d'un climat doux qui leur vaut le qualificatif de "quatre printemps".

Un peu d'histoire

      Loin dans les temps anciens

Il est difficile de remonter loin dans l'histoire au sujet des minorités. La plupart d'entre elles n'ont pas de tradition écrite et confient à la seule narration le soin d'informer de leur passé les générations futures, bien souvent selon des versions très romancées. Par ailleurs, si les Hans ont conservé assez bien, eux, la mémoire de leurs contacts avec les minorités, ils ont systématiquement adopté un point de vue très biaisé, conforme à la culture confucéenne, considérant ces ethnies comme barbares et indignes d'intérêt. Leurs évocations des contacts qu'il ont eus consistent souvent à narrer les seuls évènements qui les concernent et surtout s'ils leur sont favorables. Enfin, l'historiographie chinoise contemporaine, la plus qualifiée pour interpréter textes et fouilles, est très politisée.
Excepté les fossiles proto-historiques, c'est généralement à deux ou trois millénaires avant notre ère que remontent les vestiges les plus anciens de peuples présents dans ces montagnes, témoignant de la présence de sociétés bien organisées : sépultures et outils, attestant de la maîtrise des métaux. Plusieurs royaumes indépendants apparaissent alors.
Le Yue en est le premier exemple, occupant largement le Sud de la Chine et le VietNam, (donc le Guizhou et le Guangxi) s'étendant parfois jusqu'au Yunnan au gré des conquètes. Sa capitale est tout d'abord près de l'actuel Langya (Anhui). Elle sera transférée près de Shanghaï. Yue émerge au début du premier millénaire avJC comme un état indépendant, il se frotte aux embryons de l'empire chinois, participe même aux Etats Combattants après avoir annexé l'un d'eux, est battu en 250 avJC et éclate progressivement en 3 états, certains rattachés aux Hans, d'autres, repliés au VietNam, indépendants.
Au Nord-Ouest de Yue, dans l'actuel Guizhou, apparait le Royaume de Yelang, à la fin du 3e siècle avJC, en révolte contre les Hans, qui réussit à se maintenir un siècle indépendant environ avant d'être balayé par les armées de l'empereur Wu.
Le Royaume de Dian, est un autre exemple. Il bâtit, sur les bords du lac du même nom, au Sud de Kunming, une société très raffinée qui occupa probablement tout le Yunnan pendant 400 ans avant notre ère et se montra particulièrement habile dans l'ouvrage du bronze. Ses populations étaient probablement des ancêtres des Zhuangs, des Yis et des Pumis.
On trouve ensuite un pointillé de faits avérés : batailles surtout, mais aussi établissement durable dans des sites précis de commanderies Hans jusqu'aux rives de la Salouen, traîtés, attestés par l'érection de bornes ou de monuments solennels, sceaux attribués à des fonctionnaires en charge d'administrations, routes ou ponts rapportés sur des peaux de mouton ou des bambous, dont il reste parfois des traces. Ils traduisent tous une occupation régulière du sol, une activité soutenue d'échanges entre la Chine centrale d'une part et le bassin du Siam ou l'actuel Vietnam, des mouvements successifs de migrations et d'invasions, venus aussi bien du Nord, que de l'Ouest ou de l'Est : les débordements des Tibétains dévalant de leurs plateaux, les grandes invasions mongoles aux treizième et quatorzième siècles, puis les poussées Hans de la dynastie Ming au dix-septième siècle, accompagnées d'expéditions navales préparées au Yunnan et dirigées vers le Siam, les progressions mandchoues des Qin aux dix-huitième et dix-neuvième siècles. Tous ces brassages d'ethnies diverses ont été autant d'occasions de rebattre les cartes de l'accès aux bonnes terres (le long des fleuves et dans les vallées), ou au contraire de peupler des terres d'exil, au fin-fond des montagnes, sur les pentes abruptes ou les plateaux froids.

     Le Moyen-Âge

Deux états explicitement établis par des minorités se détachent de ces périodes assez confuses : le royaume de Nanzhao et le royaume de Dali.
Nanzhao est né des faiblesses des dynasties Jin et Tang, incapables de maintenir la domination Han sur le Yunnan et laissant émerger six petits états dissidents que Piluoge, roi Taï de l'un d'eux (une ethnie qui donnera probablement naissance aux Yis), unifia en 718. Sa capitale fut établie à Dali. Il mena campagne contre les Tibétains et les Yis qu'il réunit pour partie au royaume de Nanzhao. Son successeur, Geluofeng, officiellement vassal des Hans, remporta deux batailles importantes contre ceux-ci et se dégagea de l'emprise Han, profitant des faiblesses de l'état central. Alliée tantôt des Hans, tantôt des Tibétains, la dynastie Nanzhao entreprit une extension systématique au Sichuan et au Guizhou vers le VietNam. Mais ces extensions en le fragilisant, hâtèrent sa perte et la dynastie Nanzhao succomba en 902 après l'assassinat de son dernier roi.
De ses morceaux et d'une période trouble qui succéda à sa chute, émergea le Royaume de Dali, dirigé par l'éthnie Baï, en 937. Moins expansionniste que Nanzhao, il s'accomoda d'un statut de vassal (très théorique) de l'empire Han et ménagea des voisinages pacifiques avec ses voisins. Il se maintint dans cette situation prospère, profitant d'une situation idéale pour contrôler les flux commerciaux des grandes routes qui le traversaient. Mais mal préparé à la guerre, il succomba au déferlement mongol de Kubilaï Khan, en 1253.
Les dynasties Yuan (mongole) puis Ming (han) rétablirent la loi de l'empire sur les provinces "barbares", accordant de larges rôles aux élites locales à la condition qu'elles ne manifestent pas de tentations séditieuses. Les "tusis" (gouverneurs régionaux) furent fréquemment issus des ethnies les plus fiables (Tsujias, Baïs, Naxis) et l'empire confia à ces minorités le soin de protéger ses frontières.

     La dynastie Qing et la République de Chine

La situation change notablement au dix-neuvième siècle. La dynastie mandchoue Qing, après avoir tout d'abord suivi la politique de "cogestion" des Ming, adopte une politique intensive de sinisation. Les postes de responsabilité sont systématiquement "hannisés", les sols dans les zones les plus accessibles sont attribués à des colons déplacés, rejetant à contrario les plus ardents résistants à cette assimilation dans des fiefs puissants et rebelles, en révolte contre la dynastie mandchoue et terreaux fertiles d'une propagande européenne, en quête de zones d'influence et donc, bien sûr, subversive ...
Un exemple notable est l'éphémère Sultanat Hui "PingNan Guo" (1850-1873), né de l'exaspération de populations musulmanes tout spécialement en butte à la suspicion et aux brimades. Il finit écrasé dans le sang.
Plus complexe est le cas du Royaume Daï, dans l'extrême Sud du Yunnan, né d'une dissidence, au début du 18e siècle, des peuples vivant à cheval sur la Chine, la Birmanie, la Thaïlande et le Laos, et régulièrement réinvesti par les armées impériales. La dynastie des Si s'y maintint jusqu'à la République Populaire, traversant opportunément les frontières en cas de péril, mais contribuant à la défense de l'Empire face aux intrusions européennes ou à l'offensive japonaise. Le dernier Roi Daï, est décédé en 1956.

Dans une lutte coloniale particulièrement sévère entre Anglais et Français, la voie du Mékong et les routes de la Birmanie apportaient la bible, les armes, l'imprimerie, la seddition et le pavot. Elles repartaient des montagnes du Yunnan chargée de soie, de thé puer, de laques et parfois s'en allait raccourcie d'une tête après avoir semé la rebellion, l'eucharistie et l'alphabet latin. La république-empire au début du vingtième siècle est le moment rêvé de tous les excès : l'opium a totalement remplacé le thé sur le dos des petits poneys, les chefs de village sont tous devenus chefs brigands car s'ils ne l'ont fait, leurs villages ont été mille fois pillés. Les rackets se multiplient des uns ou des autres, mais toujours au détriment des mêmes. Lorsque les forces en présence deviennent plus claires, certains rejoignent le Guomintang qui veut reconstruire l'ordre et la propriété, d'autres, au contraire, cet aventurier de Mao Zedong qui a la bonne idée de dénoncer la main-mise sur les bonnes terres par les nantis. Aucun ne s'alliera aux Japonais qui peinent à s'installer sur ces terres loin de leurs bases et méprisent copieusement ces barbares.

     Les Temps Modernes

La République Populaire de Chine affirme en 1949 l'égalité des peuples vivant sur son territoire ; elle met fin aux féodalités, à l'esclavage (encore bien présent), affirme même les droits des minorités à procéder elles-mêmes à leur gouvernement là où elles sont majoritaires, introduit des éléments d'éducation et de santé publique, améliore l'approvisionnement des zones isolées. En échange elle impose des règles communes qui chassent les coutumes ancestrales, elle impose le mandarin comme langue administrative, refoule les religions établies (bouddisme, confucianisme, taoïsme) autant que les émergentes (islam, catholicisme) et pourchasse l'animisme, réquisitionne les terres, impose le regroupements des populations et la vie en communauté, fait disparaître les structures anciennes de la vie sociale lorsqu'elle ne peut pas s'appuyer sur elles et, bon gré mal gré, favorise l'implantation de Hans qui maîtrisent la langue et accèdent facilement à l'éducation.
Le communisme est cependant plutôt bien accueilli et plutôt soutenu (pas partout certes, les mémoires se souviennent de révoltes et de purges) au cours de ces "Réformes Démocratiques" (le Grand Bond en Avant), jusqu'à la Révolution Culturelle qui lamine les esprits, disperse les familles, ruine commerce et artisanat locaux par des règles aussi originales qu'arbitraires, répand la misère dans les campagnes, détruit systématiquement les forêts et le cheptel par des obligations collectives inconsidérées. Les traditions culturelles (fêtes, cérémonies) sont bannies et les outils des religions (autels, temples) convertis à des usages païens. Les minorités, quoique loin du pouvoir, paient à prix fort les visions éclairées du grand Timonnier.

Le chemin est long ensuite pour reconstruire le pays après les réformes de Deng XiaoPing de 1979. Les terres pauvres des minorités ne sont pas prioritaires dans l'effort national, mais à leur égard, le pouvoir est beaucoup plus favorable que pendant l'ère des réformes et beaucoup plus conforme à l'esprit de la Révolution Populaire de 1949. Les nouvelles lois sociales incitent à une relève des minorités, mais les règles économiques ont la priorité. Le Guizhou, le Guangxi, le Yunnan sont les marches de l'empire ; on s'en méfie un peu car elles furent turbulentes et mal-contrôlées. Ces provinces se traînent donc en queue des investissements nationaux, malgré des richesses minières et forestières dont la Chine a bien besoin, mais qu'elle exploite de façon presque coloniale, expédiant sur place de grandes entreprises qui fonctionnent pilotées de Beijing, sans grande considération pour les intérêts locaux qu'ils soient financiers, humains ou environnementaux. Il faut attendre la fin du vingtième siècle pour que soient adoptées des politiques de mise en valeur du grand potentiel des minorités. Les gouvernements "autonomes" sont un peu plus autonomes, un système éducatif est mis en place pour favoriser la formation d'une jeunesse issue des minorités, bien armée pour affronter le monde moderne plutôt que s'exporter vers les gouffres à main d'oeuvre de Chengdu, Kunmin ou Canton. Ce système culmine avec des Universités des Minorités qui visent à fournir des cadres à l'agriculture, l'artisanat, le commerce et l'administration.

Et le futur ?

Le 21e siècle avec le grand bond économique de la Chine, plonge les minorités dans une nouvelle phase de développement. Les vallées sont désenclavées à marche forcée, des autoroutes partent à l'assaut des montagnes les plus reculées, doublées de trains rapides et des aéroports sont ouverts au commerce national tout d'abord mais bien vite international. Le moindre village est maintenant accessible aux commerçants et aux investisseurs Hans qui apportent des machines à laver, des téléviseurs, et des panneaux solaires, là où bien souvent il n'y a pas d'eau sur les éviers de pierre, pas de mobilier dans les pièces uniques, où l'âtre est encore fait de trois pierres plates au centre de la pièce où bout une éternelle marmite. En retour les villageois sont maintenant aux portes des usines après juste 4 heures (ou huit heures, ou trente heures ...) de bus. Les recruteurs passent en camion dans les villages ramasser les bras valides et les petites mains diligentes. Les villages se vident de tous les potentiels. Les femmes les premières fuient loin des tâches harassantes et inconfortables de la campagne pour nettoyer de nuit les supermarchés ou souder des circuits imprimés, tandis que les hommes rejoindront un hypothétique chantier dans la banlieue d'une capitale régionale. Et les yéyés et les naïnaïs se retrouvent six mois par an en charge des bambins, si ceux-ci ont la chance d'avoir encore des grands-parents en vie ...

Les autoroutes apportent aussi les touristes car bien vite l'Administration a vu le parti à tirer de l'exhubérante variété des traditions locales. Tourisme à la chinoise principalement, c'est-à-dire tourisme de groupes disciplinés qui veulent trouver sur la place du village toute la tradition des Dongs, des Miaos ou des Muosus, résumée et condensée en un show unique de deux heures où l'on associe les danses, la musique, les costumes et les vieilles légendes. L'architecture, soigneusement reconstruite, l'artisanat, la cuisine ainsi que les principales traditions seront aussi à portée de main dans des boutiques ou des musées, particulièrement soignés, pour les plus intrépides d'entre-eux, ceux qui pourront échapper une demi-heure à la vigilance de leur cornac. Mais hors de ces trajets balisés, c'est encore beaucoup l'inconnu, ignoré des guides, des cartes, des agences de voyage et même d'internet qui sait tout, mais pas ça ...

La fin des minorités ? Peut-être pas ... car il faut bien le dire, elles tiennent bon ces minorités (on dirait aujourd'hui qu'elles sont drôlement résilientes !). Parcourez ces petits villages, quittez les grands-places, perdez-vous aux bordures des champs, là où les programmes de reconstruction n'ont pas encore fait passer leurs pelleteuses, vous trouverez encore des maisons anciennes, de bois noir ou de pierre, les toits couverts de tuiles, de chaume ou de dalles de lauzes, une charrue à main devant la porte. Au soir, revenant des champs, les hommes et les femmes, poussant une poignée de canards ou une vache, porteront encore la tenue qu'arboraient leurs grands-parents, rapiécée, tachée, mais authentique ... Si vous tombez par chance sur un marché dans un village perdu, vous verrez que la variété des vêtements est plus riche encore, issue des divers villages alentour. Vous verrez les panières d'osiers accrochées au bras des marchandes de champignons, les petits chevaux secs, portant des brassées de légumes, des hommes burinés en vareuses bleues et casquettes de fourrure faisant rissoler des canards fendus en deux, et au dos des jeunes mères, coiffées d'invraisemblables couvre-chefs, des bambins émergeant parmi les feuilles de choux. La fierté d'être de telle ou telle minorité est évidente partout et chacun est fier de le proclamer. Les fêtes collectives antiques (celles des Torches, de l'Eau ou des Lushengs) rassemblent des milliers de participants, tous revêtus des vêtements de leur village, doivent-ils pour cela faire trente heures de routes en minibus ou sécher une semaine de cours à la fac. On dit aussi (cf. B. Vermonde) que les écoles ont repris leurs cours en langues locales et que des écritures anciennes même, comme l'écriture des Yis, s'y enseignent aujourd'hui à tout le monde et non plus aux seuls bimos comme par le passé.

Sans être tout à fait une renaissance, ce mouvement laisse à penser que, quoiqu'elle soit totalement incompatible avec le "village mondialisé" que nous promettent nos futurologues, la structure ancienne des minorités perdurera encore durablement dans les mentalités, pour le plus grand bonheur d'une diversité sociale qui, quoiqu'on en dise, est bien au moins aussi importante que la diversité de la botanique. Mais pour cela il faut qu'elles aient fait allégeance au grand peuple Han, qu'elles aient accepté de rejoindre le fleuve millénaire du tianxia, qu'elles proclamment haut et clair la clairvoyance du PCC pour déterminer les chemins de l'avenir, ainsi en a décidé le grand Xi en 2013 et les dissidents qui ont la mauvaise idée de penser autrement passent des heures sombres.

 


Les populations des minorités les plus nombreuses de Chine du Sud et celles des autres minorités (recensement de 2000) - les populations Mandchoues, Huis, Mongoles, Coréennes, Ouïghours, quoique présentes en Chine du Sud, mais résidant majoritairement sur d'autres territoires ne sont pas rapportées ici.

carte des pays concernés     |     courte bibliographie     |     chronologie des dynasties chinoises    |     classification des minorités>    |     les divers musées des minorités

 

 

 

Couvercle d'un cratère de bronze du royaume de Dian (environ 400 avJC). Jardin du Temple d'Or (copie), original au musée municipal de Kunming.


Statue de Piluoge, roi Taï, fondateur du royaume de Nanzhao (en 632), devant le temple des 5 Phénix du Parc du Dragon de Jade à Lijiang (Yunnan).


Statues des grottes des Shibaoshan (région de Shaxi), du royaume de Nanzhao (royaume des minorités Yi et Baï), datées entre 900 et 1100.


Colonne de bronze de Xizhou érigée en 940 à la suite de la campagne de Ma Xifan, empereur de la dynastie Chu, contre Peng Tu Chou, tusi de Xizhou, établissant leurs droits et devoirs respectifs (copie du musée des minorités de Wuhan).


Vestiges de l'oppidum de Laosisheng, ville forte Tujia, dans le district de Hongshun, Hunan, (1135 - 1450).


Statue du général He Long à Zhang Jia Jie (Hunan). Né d'une mère Baï, futur Premier Ministre, il a vécu toutes les péripéties des années 1910-1935 dans le Sud-Ouest : officier de l'armée mandchoue, il prend la tête des révoltes paysannes dans le Yunnan, devient chef de garnison, rançonne les caravanes d'opium, rejoint le Guomintang en 1926, qu'il quitte en 1927, pour former l'Armée Rouge avec Mao.


Petit village Buyi de Gaodang (Guizhou) slogans maoïstes, souvenirs de la Révolution Culturelle : "La pensée vivante. Lis Mao. écoute Mao, suis la pensée de Mao. Qu'est-ce que le travail ? La lutte ! Partout il y a des problèmes et vous attendez des solutions. Notre mission est de lutter toujours pour trouver les solutions"


 


henri

        
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© henri maître - le 1er avril 2021