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     Le Sud Anhui et les Montagnes Jaunes (Huang Shan)

                                           Henri Maître - novembre 2014

 

ici, la visite en images

L'ancienne préfecture de Huizhou et le village de Yuliang : le leg de l'histoire, Le petit village de Hongcun, son étang et son bassin


Huang Shan : pluie et brumes sur les Montagnes Jaunes, trésor de la Chine


 

L'Anhui, province de l'Est de la Chine, à une encablure de Shanghai


 

Carte de l'Anhui et localisation des sites visités


 

petit bonus d'images

conseils aux photographes


Le barrage de YuLiang


Au sommet des Montagnes Jaunes


Tao Xingzhi (1891-1946), grand pédagogue moderne, néo-confucianien, né à Huizhou

L'Anhui est partagé par le YangTsé entre un grand Nord, autour de sa capitale Hefei et un petit morceau au Sud-Est, longeant le Zhejiang et le Jianxi. Le petit bout du Sud-Est est riche de hauts-lieux de tourisme, les très célèbres Montagnes Jaunes, et une floppée de petites villes marquées d'histoire, parfaitement oubliées des guides. Ajoutons pour faire bon poids des sources chaudes et des paysages de forêts et de plaines basses somptueux, surtout en ces temps d'automne et nonobstant une pluie persistante.

Huizhou

La ville de Huizhou est malheureusement un lambeau mal échappé à l'histoire. Ancienne préfecture en des temps lointains d'une région très prospère, elle s'est dotée d'impressionnantes fortifications pour abriter une administration qui a très largement disparu, à l'exception d'un palais de justice refait "à l'ancienne" avec une énergie et un souci du neuf désarmants. Les fortifications s'ouvrent par une très belle porte forte et un portail de pierre à huit dragons qui témoignent seuls du passé (et encore, ils ne doivent leur survie au siècle précédent que pour s'être ornés de calligrammes à la gloire du grand bond en avant). Franchies ces ouvertures, un œil exercé retrouvera dans la cité dense de maisons de deux ou trois étages, le tissu serré et régulier de la ville antique, mais les toits seuls en sont encore anciens et l'étage supérieur, parfois, par chance, car le reste est uniformément sacrifié au petit commerce local, sans le moindre souci de sauver les apparences comme c'est très bien fait en d'autres lieux ( PingYao, Lijiang, Dali). Pourtant des corniches de pin sculptées, des vantaux de bois en parade de balcons, des volets encore ciselés, une porte étroite de pierre brune, précédée d'un portique à double encornement laissent imaginer un passé superbe. La ville est très fière d'être le berceau de l'éducation classique, ayant formé plus de fonctionnaires pour l'empire que toute autre et se targuant aujourd'hui encore d'être la grande pourvoyeuse d'académiciens. Il faut croire qu'en nos temps cruels, l'éducation, si bonne soit-elle, ne sauve pas la mémoire du petit bizeness.

La préfecture de Huizhou est associée également à l'essor du commerce en Chine. Elle fut le berceau de l'une des deux lignées de marchands, lignées qui servent  aujourd'hui encore de référence dans le commerce chinois. Le marchand Jin est né à PingYao, il est à l'origine du marchand d'affaires dont le métier s'appuie largement sur la banque, qu'il a inventée, avec les crédits, les billets de change, la monnaie et les réseaux d'appui politiques assurant la stabilité sociale et la confiance dans le système. Le commerçant Jin accompagne ses caravanes d'escouades de mercenaires et entretient pour cela les meilleures relations avec les arts martiaux de ShaoLin. La seconde famille est celle des commerçants Hui (le Hui de l'Anhui), qui s'appuient au contraire sur la qualité de leurs marchandises pour assurer la confiance du client et qui placent la satisfaction de ce client en clé de voûte de leur métier. Faire un bon produit, connaître les souhaits du client, marchander son offre, cela s'apprend et pour cela le commerçant Hui soutient l'éducation et l'enseignement, la connaissance de la nature et des gens   Et voila pourquoi Huizhou est si réputé pour son éducation, préfecture d'un pays de marchand qui veulent assurer à leurs enfants le meilleur avenir. Commerçants Jin et commerçants Hui sont en concurrence depuis quatre siècles.

Yu Liang

Plusieurs villages autour de Huizhou sont répertoriés comme des perles de sa couronne. Nous n'aurons le temps d'en voir qu'un mais, lui, aussi exceptionnel qu'ignoré du Routard : Yu Liang, c'est-à-dire, pour les fins sinisants, l'arête dorsale du poisson. Situé sur une falaise basse, rocheuse le long de la courbe de la rivière Xin'An, il étire une rue unique où s'accrochent les maisons et les commerces. Le nom me semble venir de cette curieuse structure, mais il se peut aussi que je n'ai pas bien compris. Les maisons sont de type villageois, en pisé grossier, blanchi à la chaux, et en bois. Les "beaux" magasins sont des sortes de granges, avec un étage desservi par des escaliers périlleux, au sol irrégulier et aux murs de planches équipés de vagues comptoirs, de treuils et de cordes rappelant plus l'inquisition que la City. Le village est encore majoritairement habité et pas par des camelots attirés par le touriste car le touriste y est aussi rare que l'échoppe pour les accueillir. Ce sont surtout des vieux que l'on voit là, sur les chaises devant les portes, entre le chat qui se débat avec un reste de poisson et la cage du merle siffleur. Les plus jeunes passent de temps en temps sur une moto déglinguée ou poussant une charrette de bois et de tôle. Quelques ouvriers s'affairent sur un chambranle de porte.
Ce village est célèbre car il offre un très remarquable barrage artificiel bâti sur la petite rivière Xin'An qui coule devant les murs de Yu Liang. Ce barrage coupait un cours d'eau qui rejoignait directement la mer à HangZhou et permettait d'y délivrer  les produis de l'intérieur (riz, bois, laine) en échange des poissons et du thé. Contraints d'y décharger leurs cargaisons les bateaux ne franchissant pas ce barrage. Les marchandises étaient transportées sur quelques centaines de mètres, à dos d'homme, selon trois chemins à flanc de falaise, chacun correspondant à une taxation particulière. Le barrage fût construit il y a 1400 ans selon un modèle que je n'ai rencontré nulle-part ailleurs. La rivière fait à cet endroit une cinquantaine de mètres de largeur, et son lit entre les deux escarpements, trois fois plus. Les deux niveaux sont séparés de 5 à 6 mètres en altitude par un glacis très faiblement incliné (il fait près de 40 mètres de large), échancré en trois endroits de créneaux laissant passer l'eau, chacun à une hauteur différente afin de s'accommoder du régime des pluies. Ce barrage était initialement en bois, mais il craquait beaucoup et une inondation à eu raison de lui au 17e siècle. Il a alors été remplacé par un glacis en pierre, constitué de dalles de fortes dimensions (1 à 2 mètre par 40 centimètres), assez irrégulières, tenues entre elles par tenons et mortaises, en pierre également, l'ensemble étant maintenu en pression latérale par l'usage régulièrement  de coins de pierre aussi enfoncés en force entre quatre dalles de façon à faire s'arcbouter l'ensemble. Technique héritée directement de l'art du bois donc, mais qui ne manque de rappeler les constructions incas. Comme le tout  repose sur le lit du fleuve et qu'en temps de fortes eaux la poussée verticale sous les pierres aurait naturellement tendance à déchirer le tablier, des ouvertures carrées étaient ménagées de loin en loin pour laisser s'exprimer les humeurs rentrées du fleuve. Du bel ouvrage vous dis-je, qui tient encore 400 ans plus tard et se trouve toujours au centre la vie sociale, à la fois grève pour les pécheurs, plage pour les
enfants, port pour les bateliers sur le côté haut, lavoir et évier pour les ménagères sur le côté bas.

Hong Cun

Second village, qui, est un peu plus connu des guides, HongCun (soit tout simplement "le Petit village de Hong"), à une vingtaine de kilomètres du point de départ pour la Montagne Jaune, il est au coeur d'un paysage de collines, lacs et ouvertures sur la campagne, lui même charmant. Sous sa forme actuelle il n'est pas très ancien, un siècle ou deux, guère plus, quelques maisons attestent cependant d'une histoire plus longue. Ses ruelles sont tortueuses à souhait, servant des maisons basses comme il se doit dans un village, mais les portes et les toits ont toujours quelqu'élégance qui n'est pas paysanne. Murs blancs à motifs gris, têtes de chat en quinconce par ci par là. Le village est habité et animé, mais il y a aussi aujourd'hui beaucoup de touristes dont une troupe de photographes professionnels, bardés de tous les attributs de la confrérie. Ils sont massés sur deux points charmants : le lac semé d'estafettes de canards blancs et bordé de grands platanes maintenant roux, qui accueille le visiteur, et, au coeur du village, un très grand bassin en demi-lune le long duquel se serrent des maisonnettes aux toits désordonnés et à l'alignement incertain. Soleil couchant aidant, il y a bien là effectivement de quoi faire des clichés formidables, pour peu qu'il n'y ait pas dessus un autre photographe. Dans cet univers gouverné par la place des étangs, les rues sont bordées de profonds chenaux qui courent entre les maisons. Si vous demandez votre direction à l'habitant, il vous dira probablement "suivez l'eau pendant deux blocs, puis remontez trois blocs".
La Mer de Bambous n'aura pas l'honneur de notre visite. Nous sommes arrivés à ses portes, mais devant l'insistance des cieux à vouloir ruiner nos derniers vêtements secs, nous avons fait demi-tour. On dit que c'est un lieu enchanteur car outre le paysage exceptionnel (on est sur le piémont de la Montagne Jaune et la pente moyenne est de 70 degrés probablement) elle abrite temples, kiosques et petits palais cachés dans une végétation luxuriante.

Les Montagnes Jaunes (Huang shan)

Revenons donc à cette Montagne Jaune, (Huang Shan) autour de laquelle noue tournons. Guère Montagne (elle ne dépasse pas 1860 m), mais à la structure typique des karstes chinois, tout en déclivités vertigineuses, pics de roche tendus comme des doigts, ravins, falaises, ... Enfin c'est ce qu'on dit car aussi bien dans l'autocar qui nous amène de son pied à mi-pente que du téléphérique qui nous hisse au sein du dédale de pistes, nous ne verrons autre chose que le blanc des nuages à travers les gouttes de pluie qui s'écrasent sur les vitres. Malgré les conditions épouvantables, les touristes sont là, enveloppés dans des capes de pluie jaunes pour tous, mais sur-pantalons de plastique et housses à chaussures pour les plus prudents (nous regretterons longtemps de n'en avoir pas été). Comme nous l'avons déjà vu à Wudang Shan et à Jiangadjié, les chemins sont entièrement artificiels, en parfait état, bien signalés et ... obligatoires. Ils sont totalement noyés dans une forêt qui escalade athlétiquement la pire pente, les arbres prenant un malin plaisir à sortir du roc là où on les attend le moins. Le sol est couvert de bosquets, des azalées souvent, des rhododendrons aussi, mais d'autres signalés par des pancartes que je ne connais pas. Peu de fleurs en cette saison bien sûr. Des volées de centaines de marches permettent de descendre dans les combes puis de remonter sur le piton que l'on aurait pu voir en face de notre nez, n'était-ce les nuages. Les observatoires sont bien aménagés, ils taillent des pas dans le roc pour assurer la vue à l'extrême pointe des cimes, plusieurs d'entre eux sont inaccessibles en raison des conditions météo (la roche est glissante, les feuilles ajoutent leurs pièges et le vent souffle en bourrasque). Disons-le, les conditions  de sécurité ne nous ont jamais semblé surabondantes et je pense que l'on se repose beaucoup sur la fureur de survivre du chinois moyen pour maintenir des statistiques présentables. Bon, le vent ne pouvant pas être que mauvais, nous avons eu quelques dégagements brusques qui nous ont permis de voir ces paysages typiques d'un pan de roche émergeant d'une mer de nuages, ou une écharpe de brume s'accrochant à un pin s'accrochant à une falaise plongeant dans le vide. De quoi expliquer la dimension exceptionnelle de Huang Shan dans l'imagerie chinoise.  Mais trop c'est un peu trop, après 4 h dans l'enfer mouillé, nous jetons l'éponge. Un passage rapide par la partie commerciale du site (l'hôtel restaurant d'altitude ou cinquante pingouins ruisselants essaient tant bien que mal de se réchauffer). La redescente en téléphérique nous offrira encore bien des regrets. En dessous des nuages, les flancs de la montagne, bien jaunes là où le roc émerge, le vert des forêts, bien vert, mais piqueté de l'or des ginkgos et du pourpre des érables, sont traversés de cascades par dizaines, les cours d'eau ne pouvant, dans cette géométrie, faire autrement que de sauter ...

 

Dernier conseil pour ceux qui cherchent une belle image des Montagnes Jaunes pour remplacer mes piêtres souvenirs, feuilletez n'importe quel recueil d'estampes classiques ou consultez le bel ouvrage que Marc Riboud leur a consacré.

 

Huang Shan, 1980, 3 photographies de Marc Riboud, Musée Guimet (2021)


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Fait le 15/12/2014  -  Mise à jour le 11/07/2021