Peut-on marcher dans les traces d'Arthur Rimbaud ? L'Homme aux Semelles de Vent a t'il seulement laissé des traces ?
Comme je me lève de bonne heure, longtemps je me suis posé ces questions, hésitant de fait à partir. Tel la mule de Buridan j'hésitais à choisir entre la vallée de l'Omo, le Danakil et les Hauts Plateaux, puisqu'il était clair que je ne ferai pas tout en une fois, mais que chaque destination valait amplement le voyage. Et j'ai franchi le pas cette année : les Hauts-Plateaux, Addis-Abeba, Bardar, le lac Tana et le Nil Bleu, Gondar, le Simien, Axum, Lalibella, Addis-Abbeba. Le reste sera pour d'autres fois. Aujourd'hui, Ethiopie me voilà !
Ethiopie, Abyssinie, Punt, ... encore faut-il choisir le bon terme ... les cicerone ne manquent pas : la Reine de Saba (incontournable), Ménélik, I, ravisseur de l'Arche d'Alliance, ou II, bâtisseur d'Empire, l'improbable Prêtre Jean, le ras Tafari Mekonnen (très officiel Négus Hailé Sélassié), Abebe Bikila, le petit marathonien aux pieds nus de la Garde Impériale, Mengistu Hailé Mariam, le Négus Rouge, ... et Rimbaud bien sûr, consummé de fièvres et de gangrène, cherchant désespérément acheteur pour ses fusils Gras (ou était-ce des Chassepot ?). Mais aussi Ryszard Kapuscinski à son meilleur niveau et Curzio Malaparte, pas si bon que ça dans son difficile exercice de propagande. Mais pour moi, ce sera en touriste, marchant souvent, mais volant aussi et roulant, car il est grand ce pays.
Trente siècles d'Histoire me contemplent auxquels on pourrait rajouter quelques milliers de Préhistoire dans ce berceau de l'humanité (mais j'ai déjà vendu Lucy au chapitre du Kenya et ne peux m'en resservir ici !).
( ... la suite après la galerie photo ... )
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Des petites têtes brunes nous accompagnent, rasées de frais avec juste une semelle de cheveux au sommet pour se protéger du soleil, des petites têtes qui parlent bien anglais ma foi, et qui trouvent dans notre troupeau de pèlerins l'excitation de la nouveauté que nous guettons ici ; avec une boucle d'oreille ou une croix au cou, ou un bracelet pour être un peu coquet sur des haillons, les pieds dans la poussière et joyeux comme des pinsons. Les visages sont splendides, les yeux immenses et sombres, les traits fins, les joues hautes. Comme leurs parents ils ont la noblesse de ceux qui ne rendent pas beaucoup de comptes. Car quels comptes rendront-ils eux qui se pressent à cinquante dans la pièce exiguë d'une école de terre où alternent le matin ceux du village d'en haut et le soir ceux du village d'en bas, car le maître est unique et doit emplir toutes ces petites têtes de tant de choses ? Quand nous y passons, il y a, au tableau, en amharique, les neuf provinces d'Ethiopie, et en anglais l'anatomie du zébu ; dans une autre école nous verrons les grands monuments d'Axoum et de Gondar peints sur les murs et dans une cour des recommandations dignes d'un conseil d'administration de multinationale où les deux mots géants "MISSION" et "VISION" ressortent d'un long plaidoyer en amharique !
Sur les chemins ou le long des routes, des processions de parapluies bariolés, cabossés ponctuent des silhouettes filiformes, enrobées de couverture à l'aube, la tête portant des cuvettes de légumes ou des sacs de céréales, le dos ceint de jarres ou de bidons, poussant des ânes, tirant des chèvres ou des moutons. Parfois, sous une tunique de cuir souple bordée de franges de coquillages, un bambin émerge sur un dos à peine arrondi. De loin en loin, dans les villages surtout, s'aperçoivent les coiffes blanches ou jaunes des religieux, émergeant toujours d'une petite cour ...
On ne peut manquer alors de se remémorer les pages terribles de R. Kapuczinski dans Ebène, décrivant la misère dans ces mêmes régions lorsque l'eau manque, ainsi que les grandes famines de 1966, 73, 84, ... la sécheresse dévastatrice de 2011 ... ce pays tient à un filet d'eau, mais qu'il coule comme aujourd'hui et la vigueur de son peuple, son incroyable dynamisme, effacent les traces de ses misères. Pauvre l'Ethiopie, incontestablement. On fait la queue pour puiser l'eau au puit, l'ordinaire est chiche : de galettes d'injera, de lentilles, de manioc ; les vêtements s'usent jusqu'à la corde, les chaussures sont rares, le savon manque et l'on ne parlera ni du papier ni des crayons dans les écoles ; mais les enfants sont vifs et gais. Tant qu'ils n'ont besoin que de ce que peut leur apporter le village, ... Mais dans leurs projets, ils rêvent d'être médecins, ingénieurs agronomes, infirmiers, et cela voudra dire quiter la montagne et rejoindre une ville où l'on ne vit plus de troc ... un autre monde.
Les bourgs égrenés au bord des routes, dans la vallée, affichent leurs maisons de couleurs pastel : mauves, vertes, bleues. Les boutiques s'annonçent avec des grappes de bouteilles bleutées ou de bidons de plastique jaune criard, mais s'ouvrent sur de minuscules comptoirs obscurs où l'on trouvera difficilement autre chose que de la bière, des sodas, trois biscuits et un peu de lessive. Devant les maisons, sur des foyers bancals, les grandes paraboles des poëles à injera attendent la pâte épaisse en fumant au soleil ... ici ou là c'est le nécessaire de la cérémonie du café qui retient l'oeil : dix petites tasses sur un plateau de fer (ou plus souvent de plastique !), une casserole pour griller les grains, un pilon, une carafe à col de cygne, groupés autour d'une flamme hâtive ... Et bien sûr des marchés inouïs, forêts de bâtons de guingois supportant des toiles battant au vent, jonchés de nattes, de bâches, de couvertures pour accueillir quelques tomates, des oignons violets (beaucoup de tomates et d'oignons, ces jours), des fèves, des bananes, trois pêches rabougries et vertes comme des pierres, des piments, des pois sur leurs branches que l'on dégustera le long de la route, et là, mais oui, des petits paquets vert tendre de khat. Et partout des moutons, des ânes (béni soit l'âne éthiopien qui a tant fait pour la survie de ce peuple !), des vaches, des poules qui viennent se mêler d'aider au mouvement ...
Autour des villages, les moissons sont faites ; d'immenses meules, comme des mottes de beurre bordées de buissons épineux et des balles de paille accrochées dans les arbres, loin du bétail, le signalent au passant. Partout des attelages hétérogènes de mules, de zébus et de vaches, autour d'un piquet, piétinent des gerbes que retournent les fourches des paysans. Quelques araires, au cul de boeufs noirs et blancs, grattent la terre rouge (on est dans la plaine !). Des ânes trottinent, chargés de fagots ou de pierres ; parfois, plus au nord, ce sont des dromadaires qui passent, dédaigneux de leur incongruité dans ces paysages de champs et de vergers.
Chaque colline est occupée par la tache verte d'un bosquet d'eucalyptus d'où émerge le toit bleu d'une église. Eglises circulaires, ou plutôt dodécagonales, ornées de globes rayonnants ou de croix compliquées qui se découpent sur les montagnes alentour. Parfois une mosquée au bord de la route et même une synagogue dans un village fallacha caché sous les arbres. La relation de l'Ethiopien avec le ciel est ancienne et complexe. Comme au Tibet et au Pérou, côtoyer les nuages pousse au spirituel. L'Eglise Ethiopienne Orthodoxe Tewahedo, église miaphysite de rite guèze, fille répudiée de l'église bysantine au concile de Chalcédoine, autocéphalée par la volonté d'Hailé Sélassié, a justement désigné son patriarche Matthias, ces jours, un peu avant que d'autres ne désignent François à des fonctions parallèles.
Vu du ciel justement, le pays est aussi exceptionnel : les sols nus partout si ce n'est quelques forêts dans les pentes inaccessibles et les filets tendus et rapiécés des haies autour des villages dispersés sur les plateaux ; les grands ficus isolés ou les banyans comme des taches sombres ; les profondes vallées reliées par les filets gris de roche des rivières ; la géométrie des chemins sur les plateaux et les strates géologiques, socles de stalagmites à l'assaut des montagnes.
Bien sûr, de retour, la question viendra tout de suite "... est-ce sûr ? ". Coincé entre la Somalie, l'Erythrée et les Soudans, on ne saurait guère imaginer un pays à l'abri des secousses qui parcourent l'Afrique ces jours, du Mali à la Centrafrique et de l'Egypte au Yemen. Mais celui qui cherche des émotions ne les trouvera pas là, ou par accident seulement. Marcher dans les villes et les villages, marcher dans les ruelles, au lever du jour ou le soir à la nuit tombée, vous expose probablement à vous faire mollester, mais ce n'est pas la règle, j'en témoigne, et l'accueil reçu partout est singulièrement affable et bon enfant. Certes, dans le Simien, les scouts armés sont de rigueur pour accompagner les groupes dans la montagne. Mais n'est-ce pas plutôt pour décliner une tradition ou pour soutenir l'économie locale ? Quel est leur rôle, au delà du symbolique ? Difficile à dire. Leurs grosses pétoires ne sont pas pour les volées d'enfants qu'ils tiennent à distance la nuit, non plus pour le loup du Simien que l'on a entendu hurler une nuit mais qui se satisfait de réveiller les chiens du village ...
Ethiopie, ... il y a tant à voir encore ! la vallée de l'Omo ? la dépression du Danakil et l'Erta Alé ? ... un de ces jours sûrement puisque je n'ai non plus pas vu Jean-Nicolas, dit Arthur ! J'ai vu pourtant les Ethiopiens, ce fut un vrai bonheur, et suivant à la lettre les conseils d'Hérodote, je ne les ai confondus ni avec les Garamantes ni avec les Macrobiens que vous retrouverez vous, si vous le souhaitez, ici ou là.
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Carte géologique (Courtoisie Wikipedia et Alain H. notre distingué géologue si précieux entre karste et basaltes). |
Ecriture amharique (mon premier contact avec cette langue ! (Courtoisie Ethiopian Airlines)) |
Ethiopie : en rouge les villes visitées (Addis-Abeba, Berdar, Gondar, Debark, Axoum, Lalibella), en vert le massif du Simien, lieu du trek. En bleu la vallée de l'Omo et le Danakil (Courtoisie Wikipedia) : prochains voyages ? |
Henri Maître, mars 2013
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