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Au Sud de la botte août 2019
Paris-Lecce, c'est 1800 km par la route et trois bons jours de voyage, et Lecce n'est pas au bout de la botte ! Pour joindre les Pouilles, une fois les Alpes franchies, il faut passer le Piémont, se faufiler de Lombardie en Emilie-Romagne, traverser les Marches sur toute leur longueur puis les Abruzzes, franchir le Molise, sans bien s'en rendre compte, pour déboucher au Nord des Pouilles. On est alors déjà bien installé dans le Mezzogiorno qui, on le sait, démarre juste aux portes de Milan.
Pénétrer en Pouilles par le parc naturel du Gargano est une bonne entrée en matière pour qui ne veut pas trop tôt perdre la fraicheur des Abruzzes. Recommendons cependant au voyageur innocent
d'éviter le piège de San Giovanni Rotondo qui tend ses lacs de bondieuserie autour de la mémoire du Padre Pio, habilement entretenue par les marchands. Mais en poursuivant vaillament l'assaut
du massif calcaire, le voyageur plonge rapidement sous les frondaisons des pins et des chênes de cette Brocéliande méridionale. Sur les routes sinueuses, la vue débouche tantôt sur les plaines brûlantes de Foggia
tantôt sur la mer adriatique, et lorsqu'on s'approche des côtes (les atteindra t-on jamais tant les itinéraires sont obscures ?), des petits ports aux toits de tuile séchent au soleil tandis que des coulées de maisons,
blanches aussi, s'enfuient vers la montagne. Ce dimanche, il est particulièrement ardu d'accéder au coeur de Monte Sant'Angelo. Le village; naturellement imprenable sur son éperon, ajoute aux persistants travaux
de voirie, les affres chroniques d'un marché ambulant. Première leçon. Plus le village est petit, plus il est hermétique à l'étranger. L'architecture romane, toute simple, toute dépouillée, nue, dans sa
pierre douce aux reflets dorés, est particulièrement belle, ici, comme elle le sera plus bas à Manfredonia ou Siponto.
(à suivre après les photos ...)
Etapes en route Parme et Forli Arezzo
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Les Pouilles du Nord Parc du Gargano, Gravina in Puglia, Monte San Angelo, Barletta, Trani
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Entre Pouilles et Basilicate,
Matera, Alberobello et Locorotondo Les sassi et les trulli
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La côte apulienne Bari, Lecce, Bitonto Santa Maria di Cerate
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Parc national du Pollino Frascinetto, Civita, Maratea Les villages Arbëresh
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Cosenza
et le parc national de Sila Greca Calabre du Nord et du Centre
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Pinacothèque Provinciale de Bari Le musée des Beaux-Arts et la collection Guido Di Renzo
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A partir de Manfredonia, l'Adriatique étale ses plages paresseuses sur une mer d'huile. Seconde leçon, la plage est bien l'endroit où la société se dévêt de ses contraintes. Ainsi le français, dans une anarchie bordélique y met son transat sur la serviette du voisin, laisse ses enfants jouer au balon au dessus des corps allongés et sa musique couvrir les bavardages alentour. Pas de ça en Italie où l'on abandonne d'autres habitudes. Ici il y a deux transats par parasol, 12 parasols par rangée, 10 rangées par plage et 20 plages au kilomètre de sable. Trouver un peu d'ordre et de rigueur, c'est ça qui repose l'italien de sa journée de travail, des rues bourdonnantes, de la vie domestique. Le français y est un peu perdu au début, mais expérience faite, il ne se plaint pas trop de retrouver ses sandales où il les a laissées, son journal encore plié, et sa serviette épargnée du sable des jeux d'enfants.
En suivant la côte, on se réserve de belles visites : Barletta, Trani, Bisceglie, ... jusqu'à Lecce et au delà, les villes rivalisent de beauté. Des cathédrales magnifiques, où le baroque s'impose doucement et chasse le roman, nous rappellent ici le poids de l'histoire, les rôles des normands, des souabes, des angevins puis des aragonnais. Les ports sympas ont exclu des centres-ville toutes les activités industrielles et proposent leurs embarcations de tourisme et de pêche. Des forts de guerre, massifs, tournés vers la terre comme vers la mer, tapis comme de gros crabes au ras de l'eau s'imposent de façon incongrue dans ces paysages paisibles. Ils ont gardé de leurs constructeurs souabes le front rude et la façade rèche : "une main de fer dans un gant de crin". Les vastes jardins bourdonnent d'une vie familiale et joyeuse jusque tard dans la nuit, les cafés s'étalent dans les rues et l'on prendra garde de ne pas se faire piéger à minuit dans les ruelles où la circulation est alors à son comble.
Mais les Pouilles, c'est aussi l'intérieur des terres, les blés coupés dans des champs immenses montant à l'assaut de molles collines, tachés des marques noires des brûlis, le gris-vert des oliviers, les vignes hautes, les bosquets de chênes et de chataigners, cernés de champs. Les routes sont droites et vides, les maisons rares et généralement en ruine. Ce qu'on appelle ici villages seraient chez nous de belles villes, avec leurs couches successives d'habitations enserrant l'église, leur place du marché, invariablement bondée, et quelques maisons bourgeoises pour se pencher dessus. Chaque hameau mérite visite et si les palazzi ne sont souvent que des bâtisses à peine ornées, il est rare que les églises ne récèlent pas un porche finement sculpté, une chaire de plein roc, des plafonds lambrissés ou des peintures murales, naïves comme des Giotto, où des anges minuscules accompagnent une nativité. Si l'on a un peu de chance on repèrera dans ces bourgades un sarcophage antique, un pan de porte triomphale, ou peut-être un monument à la gloire du fascisme, où les inscriptions ont été sélectivement martelées.
Bari tient, dans ces paysages, la marche la plus haute. Par ses avenues et ses quais soignés, par ses rues passantes aux belles boutiques, par son cadastre régulier, par ses innombrables palazzi refaits où se réfugient les banques, elle s'inscrit résolument dans le rôle de modèle pour son arrière pays barbare. Bari n'est pas Naples et le fait savoir. Lecce au contraire est toute vouée au tourisme. Le baroque apulien y atteint des extrêmes. Aux façades des églises, les gryphons et les syrènes (permettez que j'embellisse un peu) se poursuivent sur les corniches, les prophètes chevauchent des dauphins, les vierges tordent leurs tresses en bénissant les nouveaux-nés tandis que les damnés se tortillent dans les flammes. Dans les cryptes, les autels croulent sous les ornementations, leurs colonnes, torsades à droite, torsades à gauche, se répondent dans une harmonie complexe qui remplit l'espace.
Franchissons les frontières et glissons nous en Basilicate. Que dire de Matera qui n'ait été dit ? Cette ville vient d'être comblée de l'attention internationale et, ainsi que sa voisine Alberobello, capitale des trulli, elle le sait. Les foules s'y pressent. Il faudra peut-être attendre que les feux de la rampe s'éteignent pour qu'elles offrent un visage moins convenu. Elles offrent de telles richesses ! Tournons nous plutôt vers des sites voisins qui gardent des charmes délicats : Locorotondo est de ceux-ci, enroulée sur sa colline qui domine la plaine, ou Gravina in Puglia , sur son ravin, sont de ceux-ci. Dans la plaine ionnienne, des oliviers millénaires se moquent de xylella fastidiosa qui ravage les Pouilles. Combien de temps encore leurs troncs monstrueux nargueront-ils la sournoise bactérie ?
Le Sud de la Basilicate est occupé par le parc naturel du Pollino, lieu de petites montagnes et d'orages violents. Ils nous ont poursuivis avec une rare ténacité et une redoutable efficacité sitôt que nous posions le pied hors de la voiture. Du haut des contreforts du Mont Pollino, on domine la mer ionnienne à l'Est, la mer thyrrénienne à l'Ouest et au Sud s'étend la Calabre. Dans les villages de montagnes, rares et distants, les habitants sont d'origine albanaise. Les arbëresh gardent aujourd'hui encore nombre de coutumes de leur pays d'outre-mer. Les églises coptes s'inspirent des rites byzantins dans leur disposition et dans leurs ornements. Leurs textes sont en grec. Les peintures murales se régalent d'aplats dorés, de portraits hiératiques auréolés, de scènes naïves et d'archanges en majesté. L'aigle bicéphale orne toujours les blasons et les tapis d'églises. Sur les places de village, c'est en arbëresh que parlent les vieux, et leur héros, Gjergj Kastrioti Skanderbegu, n'est pas de la lignée de Romulus.
La côte thyrrénienne est au bout de la route : Malatera et la succession des petits ports entourés de montagnes abruptes, et, dans les lointains, les côtes bleutées de Sicile.
Plus au Sud s'ouvre la Calabre. On se figurait une plaine sèche de terre pauvre et de roches, et c'est la forêt de Sila aux gigantesques frondaisons, aux routes sombres comme des tunnels,
aux vallées profondes qui nous accueille. Cosenza nous rappellera aux images lointaines. Ses ruelles qui escaladent la colline reflètent la dureté de la vie dans ces lieux éloignés de tout pouvoir, les murs
multi-centenaires peinent à tenir debout, les fenêtres sont durablement closes de planches, des balcons s'effondrent, des étais soutiennent des façades vacillantes et l'on croirait que bien des maisons
ne résistent à la rigoureuse pesanteur que par le réseau des étandages qui les retiennent les unes aux autres. Le miracle de Matera est impatiemment attendu à Cosenza.
Et pour finir en musique, le Complesso Bandistico Giuseppe Verdi de Francavilla
Henri Maître, octobre 2019
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