4 - En pays Yi
4-1 - Xichang
Car il nous faut revenir dare-dare pour le Festival des Torches dans les Grandes Montagnes Froides (DaLiangShan). Nous
avons connu cette région, à 500 km au Sud-Ouest de Chengdu, en hiver. La route à rebours de celle de l'aller se passe bien,
mais il nous faut abandonner l'idée de couper par les hauts plateaux vers Jiulong. La route a été emportée il y a plusieurs semaines. Tant pis, nous repasserons par Luding (le temps de rejouer l'héroïque
traversée de l'armée révolutionnaire aux prises avec le vilain Tchang Kaï Chek sur le pont de câbles) et nous longerons le Dadu quelques temps. Ainsi nous arriverons tant bien que mal (l'autoroute est encore en construction)
à Xichang qui nous impressionne une fois encore par l'ordonnancement de ses avenues, la netteté de ses immeubles et ses beaux massifs de bougainvilliers.
Xichang est le chef-lieu de la préfecture autonome Yi de Liangshan. Elle a été installée dans la vallée, tandis que l'ancienne capitale Yi, Zhaojue, perchée
dans la montagne, était d'accès difficile. Les Yis sont une minorité turbulente, mais pas rebelle comme
les Tibétains ou les Ouïghours. Le festival des Torches est l'une des deux grandes fêtes Yis, avec la nouvelle année.
Ce festival a été sérieusement réglementé depuis quelques années, avec pour objectif essentiellement de limiter les incendies qui ravageaient les villages. Résultat, il y aura un festival "officiel" à Xichang, en soirée,
à l'extérieur de la ville et un petit nombre de fêtes distribuées dans les villages auxquelles sera fait très peu de publicité. La plus importante se tiendra à mi-chemin de Xichang et Zhaojue, à Xingduqiao,
à 3300 m d'altitude.
4-2 - Fête des Torches près de Zhaojue
Mais dès la sortie de Xichang, des barrages policiers arrêtent les visiteurs non munis de sauf-conduits. Comment sommes-nous passés ? J'ai un peu honte d'avouer qu'il a fallu faire jouer
d'anciennes amitiés de mon voyage de 2016. Mais en deux heures, nous voici munis du précieux laisser-passer et nous franchissons alors sans problème les 7 barrages successifs jusqu'au terrain de la fête.
Ce terrain c'est un vallon bien vert et bien humide, adossé à des collines déjà parsemées des tentes qui hébergent les représentants des divers villages. Des arènes de fortune sont aussi cernées d'une
grosse corde, où se tiendront les courses et les combats. Le chemin d'accès est bordé d'échoppes où, dès le petit matin, grillent sur des barbecues des palettes de porc, des pommes de terre et des patates douces.
Une foule joyeuse nous entraîne vers les arènes, si nous payons l'écot de poser pour quelques selfies avec des demoiselles.
La tenue yi est de rigueur : pour les hommes des tuniques à brandebourgs et sabretaches, à col droit et gros boutons façon argent,
comme des hussards russes d'opérette. Mais cela s'ils sont jeunes seulement, les plus âgés se contentent souvent de la vareuse bleue, éventuellement doublée de la cape de laine frangée. Enfin nous voyons à
profusion les chapeaux à aigrette (un turban noir dont l'extrémité est ramenée au centre en une petite queue de matelot qui serait verticale sur la tête). Ces couvre-chefs ont bien disparu dans la vie
quotidienne au village. Quelques chamans (des bimos) se distinguent par leur vaste chapeau conique, la longue cape frangée et un air certain de respectable sagesse. Les femmes offrent une variété
beaucoup plus grande difficile à résumer en quelques lignes : généralement la jupe à plis à larges bandes colorées horizontales, souvent des tuniques étroites à col droit, richement brodées
de guirlandes de nuages stylisés et de figures géométriques. Les teintes dominantes sont bien sûr celles du peuple Yi : rouge, noir, jaune, mais il y a aussi du vert et du pourpre.
Des bijoux, pas toujours vrais, ornent les oreilles, le cou, le front. La répartition est ici mieux faite dans les générations, et souvent un nourrisson dans sa hotte est paré autant qu'une grand-mère
courbée sur sa canne. Les coiffes sont assez variées, mais on voit beaucoup de ces demi-cylindres de velours noirs, plongeant vers l'avant et retenus par une grosse tresse noire enrubannée, ainsi que ces édifices
en portes gothiques, droites sur la tête et couvertes de bijoux d'argents. On verra même ces lourdes coiffes de métal ciselé comme des coiffes Miaos.
Les groupes de chaque village vont défiler en fin de journée, mais en attendant ils se préparent dans la grande prairie, ils papotent, ils téléphonent (beaucoup)
et ce n'est pas pour rien que China Telecom a dressé une station mobile. Quelques photographes professionnels sont là avec leurs équipements monstrueux, mais nous avons l'avantage d'être étrangers (sommes-nous plus
de cinq dans ce cas ?) et cet atout nous gagne beaucoup de sympathie, nonobstant notre modeste équipement.
Nous ne verrons pas beaucoup les défilés des villages car nous n'avons pas accès à la tribune officielle,
mais n'avons-nous pas tout vu déjà alentour ? Après le défilé, quelques danses, puis démarre une chorégraphie avec un bon milliers de figurantes, chacune tenant une ombrelle jaune vif. Elles arrivent de toutes
les collines alentour en longs serpents réguliers aux rythmes de puissants haut-parleurs et convergent vers l'arène centrale.
Le lendemain, nous reviendrons sur ce site pour voir les divers concours : des luttes, très semblables à celles des Mongols, des courses de chevaux, à cru, par
de jeunes cavaliers excités comme des puces, des combats de béliers, de taureaux, de coqs. Chaque village a amené son champion et beaucoup sont en effet très impressionnants, mais leur humeur n'est pas très batailleuse.
Quand enfin, après moult exhortations, ils veulent bien considérer l'adversaire comme un rival, l'affaire se traite souvent en quelques vigoureux coups de têtes, en un gagne-terrain cornes contre cornes qui se
termine vite par la débandade de l'un d'eux (le plus raisonnable ?). Il sera conspué par l'assistance, surtout s'il était à l'évidence le plus costaud et donc le favori. Pas de sang heureusement, et le taureau de
800 kilos retourne au milieu de la foule, qui s'écarte à peine, tenu en main par son lad dépité ...
4-3 - Fête des Torches à Xichang
Nous sommes de retour à Xichang juste à temps pour nous joindre à la foule immense qui se dirige vers le terrain réservé à la fête. Il a fallu abandonner notre véhicule à plus de 4 km de ce lieu et nous remontons
dans une masse exubérante l'avenue dégagée de tous véhicules. Seules les motos et les mobylettes ainsi que quelques très rares bus, bondés, sont autorisés. Ils contribuent à la cacophonie par l'usage obstiné de
leur avertisseur employé comme chasse-boeufs. Peu d'habits coutumiers ici, on est en ville ! mais des trucs bizarres issus du génie de la hi-tech chinoise : multiples ballons gonflables emboités et illuminés,
coiffes scintillantes, épées de Darth Vador, papillons fluorescents, drones de toutes tailles, ...
Il y a aussi des marchands de fagots, un bois bien sec, grand comme un adolescent et épais de deux mains, qui sera enflammé au bûcher central tout à l'heure.
Mais la situation se complique. Le flux montant était dense et tumultueux. Il se heurte maintenant à un flux descendant, d'abord faible, puis de plus en plus
important. Renseignements pris, l'aire du bûcher,
prévue probablement pour des milliers de personnes, est maintenant saturée et les arrivants sont refoulés manu militari. Il nous faut renoncer alors qu'il reste encore un bon quart d'heure à marcher ...
Heureusement, la nuit est douce et nous retrouvons tant bien que mal notre hôtel, dépités de n'avoir pu participer aux liesses collectives. Nous aurons droit le lendemain, dans une arène privée, autour
d'un barbecue traditionnel, à une forme plus modeste de cérémonie, avec costumes, brasier, danses, démonstrations de bimo marchant sur des braises ou escaladant nu-pieds un mat de poignards. Mais tout
cela est un peu trop stéréotypé et rappelle les animations de cabaret.
4-4 - Fête des Torches à Puge
Au Sud de Xichang, Puge est une ville importante nichée dans la montagne.
La route pour l'atteindre s'élève au-dessus de la rivière Anning et du lac Qionghai, à travers de superbes forêts de conifères. Des marchands de champignons tout au long, interpellent les voitures.
Puis la route redescend vers une vallée, traversant des villages Yis typiques : maisons basses et plates, sculptures pour soutenir les toits, peintures aux façades. Nous arrivons à Puge,
comme il se doit, dans un tumulte de véhicules.
Les fêtes se tiennent sur le stade de la ville, taillé dans la colline qui la surplombe. Quand nous arrivons, une multitude déjà se presse autour du stade. Si la foule de Xichang était citadine et
branchée, celle de Puge est issue des villages alentour. Les tenues sont souvent sur le modèle traditionnel, quand bien même taillées dans du nylon. C'est un festival de couleurs, de broderies, de bijoux, de coiffes.
On y voit ces curieux képis hauts, souvent bleus vifs qui sont la coiffe quotidiennement portée à Zhaojue comme à Butuo, et même les lourdes capes de feutre typiquement Yis que l'on croyait
réservées à d'autres saisons.
Il nous faut maintenant jouer des coudes et nous
hisser sur la pointe des pieds pour apercevoir de loin, entre une tête et un parapluie utilisé en pare-soleil, le défilé des villages, puis la chorégraphie
collective qui noue et dénoue des processions d'ombrelles jaunes (l'ombrelle jaune est l'accessoire indispensable de la fête des Torches). Nous jetterons l'éponge après les premières luttes de
taureaux et nous consacrerons à une exploration des sous-bois environnants. Pas très loin du stade, ce sont les stands de nourriture qui occupent l'espace : l'indéfectible barbecue, mais aussi des échoppes de soupe
ou de pains-vapeur, voire d'artistiques confiseries de sucre filé et de boissons. Si l'on arrive à s'extraire de la foule envahissante qui les prend d'assaut, si l'on arrive à échapper aux mares de boue qui
se tapissent insidieusement dans tous les espaces libres, si l'on s'écarte un peu de l'arène publique, alors on accède aux aires de repas des familles. Et là, c'est Breughel, plus que Renoir, sous chaque sapin !
Au moins trois générations dans chaque groupe, 20 têtes, parées des plus belles coiffes, des enfants qui courent, relevant des robes de princesses ou retenant des coiffes à plumet, d'autres qui somnolent dans des
porte-bébés brodés, des aïeules qui dirigent les agapes, distribuant épis de maïs et brochettes. Les hommes alignent devant eux les bouteilles de bières comme autant de victoires sur un adversaire tenace. Les voix
sont véhémentes, les rires collectifs, la somnolence proche, sous la chaleur torride. On est bien loin de l'arène où les haut-parleurs haranguent une foule qui se dissipe mais où continuent à batailler des béliers.
A Puge, la fête est vraiment populaire et prise en main par chaque famille. Elle est bon-enfant et désorganisée. La machine gouvernementale est dans ce festival moins sensible qu'ailleurs.
5 - Retour à Chengdu
Avant de quitter Xichang, rapide visite au Musée de L'Esclavagisme et un oeil sur le carré de vieilles maisons autour de la dernière tour debout
des remparts de la ville.
Route vers Chengdu. Nous aurons le temps encore d'y visiter le temple taoïste Qinyiang dont les bâtiments visibles datent de 1660. Puis nous assistons au théâtre des masques, étonnante spécialité de Chengdu
avant de prendre notre avion dans la nuit.